Nouveau-Mexique, Arizona, Utah (carte postale #22)
Quasi 2000 kilomètres pour voir Capi à Albuquerque, en apprendre sur le passé de mon grand-père chez les Navajos, et visiter les parcs nationaux
Très chers amis,
Dans le désert de Zion, de petites fleurs poussent à travers les genévriers. Quand on s’en approche, on réalise à quel point elles sont espacées les unes des autres. Comme si chaque plant avait dû drainer toutes les ressources de son mètre carré pour égayer l’étendue autrement aride et rougeâtre.
La vie est dure pour les végétaux ici. Elle n’est pas beaucoup plus facile pour les randonneurs, qu’on oblige à traîner 4 litres d’eau par jour pour éviter la mort par déshydratation. « Pendant l’été, la chaleur accablante de mi-journée n’est rien de moins qu’insupportable », peut-on lire en ligne au sujet de la Chinle Trail.
Par cette matinée de début mai, je me tenais au départ de ce sentier, avec mes 5 kilos d’eau et mon sac à dos, prête à passer la nuit loin de tout, dans le wilderness.
Le paysage sauvage (ma traduction), c’est une catégorie de protection de territoire aux États-Unis qui laisse tous les droits à la nature, ou presque. L’humain est limité à un sentier de 50 centimètres de large qui serpente dans l’immensité. Interdit de cueillir quoi que ce soit. Interdit d’allumer un feu. Les pipis sont permis, mais il faut obligatoirement traîner un wag bag (sac à caca) sur soi.
Il y a finalement beaucoup de règles à respecter dans le Far West.
Vers 16 h, j’ai commencé à installer ma tente (en fait, celle de mon ami Nico) dans l’espace réglementaire, contente d’avoir un peu de temps devant moi avant que le soleil ne se couche. J’ai assemblé le premier arceau, puis le deuxième. Puis, tout à coup, un « CLAWK » sonore a résonné. L’un des tubes de l’arceau s’était cassé.
Je me suis assise sur le plateau de grès, découragée. Découragée, et quand même préoccupée. Il ventait très fort, le mercure allait baisser jusqu’à environ 5 degrés, j’étais toute seule comme je l’ai rarement été, à 10 km de la civilisation. Je ne voulais même pas penser aux mygales et aux scorpions. Je me suis donné une heure pour trouver une solution, sans quoi j’allais rebrousser chemin.
Monter la tente malgré le tube d’aluminium cassé ? Des plans pour déchirer la toile. Renforcer le bout fendu à l’aide d’une branche et de la cordelette ? Loin de suffire. Même si on l’attachait avec des plasters de la trousse d’urgence ? Oui.
J’ai finalement eu une illumination au bout d’une vingtaine de minutes : remplacer le tube abîmé de l’arceau par un tube du bâton du double-toit. Ça impliquait bien des manipulations d’élastique capricieux, mais ça fonctionnait à 95 %. La tente tenait debout.
Quelques minutes plus tard, j’entendais un colibri vrombir à toute allure pour s’abreuver dans la fleur écarlate d’un cactus tout près. Oui, j’étais bel et bien dans le wilderness.
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Fin avril, j’ai passé une douzaine de jours dans le sud des États-Unis, au Nouveau-Mexique, en Utah, et en Arizona. Un peu pour fuir la grisaille d’avril, beaucoup pour voir Capi qui étudie à Albuquerque, faire quelques recherches sur mon grand-père qui a vécu chez les Navajos, et visiter des parcs nationaux tant qu’à y être.
Sur Google Maps, mon parcours ressemble à une grande boucle d’environ 2000 kilomètres qui s’étire vers l’ouest. Capi et son mari Raven aussi conservent une carte de leurs périples dans la région, épinglée sur le mur de leur bureau. Les traits partent dans tous les sens autour d’Albuquerque. Globe-trotteurs un jour, globe-trotteurs toujours.
Ils sont venus à ma rescousse parce que j’avais négligé quelque peu l’aspect hébergement du voyage. C’est-à-dire que je n’avais pas réservé de terrain de camping dans les parcs nationaux du Grand Canyon et de Zion à une semaine de mon arrivée et que tout était plein. Ils ont sorti leurs cartables remplis de brochures, leurs atlas et leurs connaissances du backcountry et on a fini par trouver. Je leur ai fortement suggéré de démarrer une agence de voyages pour campeurs désespérés.
En attendant le grand départ, j’ai découvert Albuquerque. Ses vents violents du printemps qui dessèchent les lèvres. Le Río Grande, très haut en raison de la fonte des neiges. Un bout de la route 66 (à vélo, et avec lesdits vents violents). La bibliothèque municipale où quelqu’un a fait une overdose. Le campus idyllique de l’Université du Nouveau-Mexique, avec le bâtiment du département de philosophie de type Expo 67. Le centre de l’univers. Les tortues qui se font dorer au soleil sur des pierres (mon animal totem ?). Le jardin botanique, son jardin miniature de chemins de fer, sa colonie de rats-taupes nus. Les yuccas poilus et l’adobe, partout. Autrement dit, beaucoup plus que Breaking Bad, (que je n’ai jamais vu).
Après, Capi et moi on est parties en voyage pour la première fois depuis le secondaire (Capi est rendue au doctorat). Direction : le monument national de Bandelier, tout près de Los Alamos (avant la sortie d’Oppenheimer).
Un endroit non seulement pittoresque mais aussi historique : les Anasazi (ou Pueblos anciens) y ont habité pendant quelques siècles, vers 1100. On n’en sait que très peu sur eux, mais ils ont laissé derrière une kiva (un genre de pièce cérémonielle sous-terraine), et des dizaines de chambres creusées à même la paroi de roche friable. De loin, on dirait des nids d’hirondelle.
J’ai été très impressionnée par la hauteur des falaises ocre, ce qui a fait rire Capi. Selon elle, commencer par Bandelier était une excellente idée puisque mon émerveillement allait seulement croître au fil du voyage.
Le lendemain matin, j’ai eu un choc. De gros flocons tombaient du ciel du Nouveau-Mexique, fin avril. J’avais beau avoir eu des frissons pendant la nuit. Peu dépaysées, on a remballé nos affaires.
On quittait le parc très lentement, sur des pneus quatre-saisons, quand un petit troupeau de cerfs mulets a traversé la route. Comme ça, sous les flocons. À quelques mètres de là, deux coyotes les ont imités. Ils étaient peut-être eux aussi, un peu, sous le choc.
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Après être née à Québec (1608), avoir visité Veracruz (1519), passé une journée à St. Augustine (1565), j’ai flâné dans une autre des plus vieilles villes coloniales nord-américaines : Santa Fe (1607).
On s’y rend en une heure de train à partir d’Albuquerque. Ce mardi matin-là, le Rail Runner transportait surtout des aînés en sortie culturelle, chacun avec un badge d’identification autour du cou et des runnings aux pieds.
Robert est monté à bord plus tard, à l’arrêt du Pueblo Kewa, d’où il tient ses origines. On a engagé la conversation sur le paysage, qui m’apparaissait particulièrement sec. Les buissons rabougris s’étendaient à perte de vue, avec un four artisanal et un enclos de temps en temps. « I find it really green! », m’a-t-il répondu. Je l’ai cru avec un sourire en coin. On est arrivés peu après.
C’est très joli, Santa Fe. La partie historique est tout en adobe et en courbes, les fenêtres sont renfoncées dans les bâtiments. La ville attire les artistes de tout acabit : Georgia O’Keefe, Cormac McCarthy, George R.R. Martin et une flopée de célébrités apparemment.
J’ai abusé de ma carte de journaliste de la FPJQ pour visiter ses musées gratuitement : l’Institute of American Indian Arts (4/5), le New Mexico Museum of Arts (3/5) et bien entendu, le musée de Georgia O’Keefe (5/5) à mon deuxième passage, le vendredi.
C’est toujours un bonheur de voir la rétrospective d’un artiste et non pas seulement une poignée de ses œuvres. Georgia était décidément une femme singulière, occupée à peindre comme nulle autre des arbres et des fleurs et des montagnes sur son ranch, loin de l’agitation des galeries de New York. J’ai souvent repensé à elle en voyant les couleurs si particulières des canyons. Ses peintures leur rendent plus justice que n’importe quelle photographie.
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Ici débute la seconde partie du voyage, nettement plus géologique. Je suis très mal placée pour vous en parler en détail parce que je mélange toujours mes ères glaciaires et qu’à partir de 2000 av. J.-C., ça commence à devenir flou dans ma tête.
Je retiens tout de même une description lue au parc national de la Forêt pétrifiée (en Arizona), où on peut « remonter le temps » en descendant dans une formation rocheuse sur un étroit chemin d’asphalte. La couche supérieure de la formation en question date de seulement 205 millions d’années, tandis que la plus vieille en a 227 millions (j’ai pris des notes).
Les couleurs sont vraiment remarquables. Toutes les nuances sont dues au fer contenu dans les sédiments. Pendant les périodes sèches, ils ont été exposés à l’oxygène, créant des teintes rougeâtres. Et pendant les périodes humides, ils sont devenus plutôt bleus, gris et violets puisqu’ils n’ont pratiquement pas eu de contact avec l’air. Le panneau n’explique bizarrement pas la présence de l’asphalte (un mélange d’hydrocarbures et de granulats fins).
Bien sûr, il faut que je mentionne le Grand, l’Immense, le Gigantesque Canyon. Je n’étais pas du tout préparée à tant d’espace, même si sa représentation constitue un incontournable de l’iconographie américaine. J’étais par contre très préparée à marcher 14 kilomètres, soit exactement 7 km de montée et 7 km de descente.
L’administration du parc fait tout en son possible pour sensibiliser les randonneurs du dimanche à l’excursion qui les attend. Une affiche racontant l’histoire de Margaret Bradley, « qui a couru le marathon de Boston en 3 h et quelque » et qui est morte de déshydratation en 2004, est bien en vue au pavillon d’accueil. Et tout au long du chemin, de multiples pancartes rappellent que « Down is optional, up is mandatory ».
Après, on croise toutes sortes de gens sur les lacets poussiéreux qui descendent vers l’abîme. Des vieux avec un bâton et des kilos en trop, des filles en legging qui n’ont qu’une demi-bouteille d’eau, des athlètes d’ultra qui attendent le bon moment pour te dépasser, une Américaine et son caniche qui avait l’air d’avoir le vertige.
Ma propre descente a pris fin aux jardins d’Havasupai, une oasis de fraîcheur inespérée alimentée par un ruisseau. Je me suis installée pour lire sous un immense arbre dans un genre d’auditorium, seule. Un libraire de Santa Fe m’avait offert Bless me, Ultima, du grand auteur chicano Rudolfo Anaya.
Ça raconte l’enfance d’Antonio, dans un village du Nouveau-Mexique, et son initiation par une curandera (soigneuse) à la vie et à la nature. Un jour, ils s’arrêtent tous les deux près d’une rivière.
La présence était immense, sans vie, mais palpitante d’un message secret.
« Est-ce qu’elle peut parler ? », ai-je demandé, en me rapprochant de Ultima.
« Si tu écoutes attentivement », a-t-elle murmuré.
« Est-ce qu’on peut lui parler ? », ai-je demandé, alors que le son tourbillonnant, envoûtant, nous a enveloppés.
« Ah, mon petit », a dit Ultima en touchant ma tête, « tu veux tellement tout savoir ».
Puis, la présence a disparu.
J’étais rendue plus loin dans le roman quand je me suis assoupie au son des lézards qui couraient dans les herbes sèches. J’ai rouvert les yeux après une heure. Sereine, je ne sais pas comment le dire autrement. Il faisait toujours aussi chaud, le temps semblait suspendu, les parois rocheuses n’avaient pas bougé d’un millimètre. Mais je me suis demandé si je n’avais pas senti pendant un bref instant la présence du canyon.
J’ai attaqué la remontée vers 15 h 30, sur les conseils des rangers (avant, on cuit sur place). J’ai échappé mes lunettes de soleil peu après, mais Todd, un gentil marcheur, m’a aidé à les récupérer avec ses bâtons. On a finalement placoté jusqu’au sommet comme on marchait à peu près au même rythme. Il avait commencé sa journée vers 6 heures du matin, en compagnie de ses deux frères cadets, des sportifs de haut niveau qui l’avaient éventuellement largué.
« Tu peux être fière d’être aussi rapide qu’un ultramarathonien ! (lui) » m’a-t-il encouragée.
« … qui en est à sa douzième heure de randonnée et qui est né 20 ans avant moi », ai-je mentalement rajouté.
De retour au sommet, j’ai pris une douche, monté la tente et cuisiné avec mes dernières forces. Je n’imagine pas le quotidien des mères monoparentales en camping.
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Après un dernier adieu au Canyon, je me suis dirigée vers Zion, sur une route extraordinaire. Le trajet s’est éternisé à cause de mes arrêts incessants, dont un devant une scène digne des plus beaux westerns.
Le lendemain, je suis partie pour la randonnée à travers le désert, et le surlendemain, je me suis réveillée à 6 h (je me sentais de moins en moins en vacances) dans l’espoir d’en voir le plus possible au parc national de Zion (le désert était très joli mais pas très emblématique).
Un ranger qui a instantanément compris mon empressement a suggéré un programme de quasi 15 km, en plus de mes 10 km matinaux. « You must be used to it with the Alps! », m’a-t-il dit. Pas exactement. Le parc est merveilleux, mais j’ai été un peu trop à la course pour l’apprécier à sa juste valeur. J’ai tout de même ralenti le pas dans un corridor où le silence est de mise pour ne pas effrayer les chouettes qui y nichent. À bien y penser, ça m’a rappelé le parc de Talampaya, au nord de l’Argentine.
Je n’ai pas dormi dans un camping au parc, mais bien à environ une heure à l’est, sur les terres fédérales. On paie pour son terrain en mettant l’argent (12 $) dans une enveloppe à l’entrée. Ma voisine, une hôtesse de l’air en semi-sabbatique, voyageait en solo elle aussi. On a veillé autour du feu, malgré la fatigue accumulée.
J’ai beaucoup pensé à la solitude pendant ce roadtrip, elle qui ne m’avait pourtant jamais dérangée en Amérique du Sud. Force est de constater que l’existence est solitaire par défaut en Amérique du Nord. Dans la voiture, je conduisais seule, complètement déconnectée du lieu et des gens. Et en randonnée ou en camping, les gens (retraités) voyageaient en famille ou entre amis. Les occasions d’interagir ont été rares. En fait, Tina était la deuxième personne avec qui je soutenais une conversation de plus de 5 minutes cette semaine-là. Et la première femme que je croisais qui voyageait seule (elle m’a avoué qu’elle gardait « un couteau, mais pas un fusil » dans son camper).
Je me suis quand même sentie entourée d’objets-amis : le matelas de sol hyper compact d’Éli, la tente de Nico, la lampe des parents, la glacière de Capi, le sac à dos de Noémie (que je remercie grandement).
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Le dernier arrêt de ce voyage a été à Farmington. Wikipédia m’informe qu’il existe des Farmington dans la moitié des États américains, mais moi je réfère au Farmington du Nouveau-Mexique. Celui où mes grands-parents Tremblay-Cyr ont vécu en 1952.
À partir de Zion, c’est 6 heures de route, dont une grande partie en territoire ancestral navajo (ou diné, comme ils s’appellent eux-mêmes). Si on bifurque de quelques kilomètres, on peut s’arrêter au seul endroit aux États-Unis où quatre États (selon les standards coloniaux) se touchent. Ce qui m’a le plus fascinée, c’est surtout un gigantesque rocher fantomatique, menaçant, au cœur des légendes navajos, qui sort de nulle part dans le désert. Il s’appelle Shiprock, ou à Tsé Bitʼaʼí (roche ailée).
Pendant tout le trajet, j’ai pensé à Marc-Adélard et à Jacqueline, mes grands-parents. Le directeur du musée de Farmington m’a raconté qu’arriver en ville était toute une expédition à l’époque. On prenait soit le train (comme les pommes et les pêches qu’on exportait en masse), soit la route cabossée. C’était avant que le boom pétrolier des années 1960 ne remplace la culture de fruits dans la région de Fruitland.
En 1952, grand-papa venait de fêter ses 30 ans, il complétait son doctorat en anthropologie à l’Université Cornell. Grand-maman, 25 ans, avait accouché de sa première fille, ma tante Geneviève, 3 mois plus tôt à Québec (elle l’allaitait toujours). À Farmington, 3500 âmes, on devait s’en sentir très loin.
Encore en 2023, la rue principale est bordée de bâtiments bas et les gens ont des regards bridés par le soleil. Le bar du coin sert un maximum de trois consommations par personne et ferme à 21 h 30. J’imagine que le mouton frit servi au petit resto diné est toujours aussi gras et satisfaisant.
Dans les rues de la réserve de Fruitland, à quelques kilomètres de Farmington, mieux vaut rouler au centre comme l’asphalte est maganée. Plusieurs champs sont en jachère, mais j’ai aperçu de la machinerie industrielle sur au moins deux terres qui bordent l’autoroute. Dans les années 1940, je crois qu’un imposant système d’irrigation existait le long des berges. Mais j’ignore à quel point le paysage a changé depuis que mon grand-père l’a contemplé.
Au-dessus du fleuve San Juan, qui traverse la région, j’ai abordé un homme perdu dans la contemplation des remous brunâtres. Richard était saoul, je l’aurais réalisé même sans son verre en carton rempli de boisson jaune fluo. Il divaguait gentiment. Son cousin, par là-bas, avait planté de la luzerne. Plus en haut, c’était du maïs. « La terre est acide ici », a-t-il commenté en prenant une gorgée de liquide.
Le livre qui m’a aidé à mieux comprendre la présence de mon grand-père dans la régioni est celui de Tom Sasaki, coordonnateur terrain du projet de recherche auquel il participait. J’ai déniché son petit ouvrage beige dans la collection spéciale de la bibliothèque d’Albuquerque. Le nom de Marc-Adelard Tremblay (sic) figure à la toute fin de la liste des collaborateurs.
En résumé, les chercheurs s’intéressaient à la façon dont les Navajos relocalisés sur des terres agricoles s’étaient accoutumés à la vie sédentaire, et comment les « traditionalistes aux cheveux longs » (dixit Sasaki) s’opposaient aux croyances des nouveaux venus sur la réserve. Pour les apprentis anthropologues, le quotidien devait s’apparenter à ceci :
The writer and his fellow researchers were able to offer personal services and to participate in Navaho life as much as possible. They drove expectant mothers and others to the hospital; transported whole families to fairs, rodeos, fiestas, and the Gallup ceremonials […] helped to bale alfalfa, plow and irrigate fields, clean ditches, and herd sheep […].
Selon la description des quelques dizaines de diapositives que mon grand-père a léguées au musée de Farmington, il se concentrait sur les motifs récurrents dans l’architecture de la réserve.
Il a aussi donné une poignée d’objets : une sacoche, un vieil appareil photo, des mocassins aujourd’hui gardés dans un tiroir. J’ai reconnu sa calligraphie sur les fiches.
Le reste des photos sont plutôt… documentaires, comme a dit le directeur du musée. Les étendues rocheuses et les scènes de rodéo en couleurs délavées finissent par se ressembler. Il n’y a aucun portrait de ma tante ou de ma grand-mère.
D’autres membres du projet en ont pris de mon grand-père. On le voit en interaction avec des hommes autochtones, dans les champs. C’est là que je l’imagine plus à l’aise. Bien sûr, la luzerne qui pousse près du San Juan ne ressemblait pas aux patates de son enfance aux Éboulements. Mais la sensation de la terre sous les ongles est universelle. Et avec ses études antérieures en agronomie, mon grand-père savait parler une langue qui s’approchait plus du navajo que l’anglais.
Après, j’en ai très peu appris sur ses tâches à lui, ses sentiments, encore moins sur ceux de ma grand-mère. Ils ont vécu dans une école désaffectée, sur la réserve, pendant sept mois. J’ai manqué de temps pour la retrouver.
Dans un courriel qu’il a écrit en 2007 à la responsable des collections du musée, il décrit son expérience comme un « rite de passage » (en français dans le message en anglais). S’il échouait son terrain, c’en était fini de sa carrière universitaire, raconte-t-il.
Il faudra bien que je retrace l’article qu’il a publié par la suite dans le journal America Indigena et que je lise le livre de Sasaki plutôt que de le survoler. Que je sois attentive au regard blanc que mon grand-père et les autres portaient sur cette communauté éloignée où ils avaient atterri. Ce sera certainement à suivre.
En attendant, je vous conseille chaudement ce coin des États-Unis.
Amitiés,
Nora
En fond sonore sur la route
El camino de mi alma, Hermanos Gutiérrez
Arizona, Dumas
This Land is your Land, Woody Guthrie
Prender el alma, Nicola Cruz
Le podcast Svetlana! Svetlana! (sur la fille de Staline qui finit par marier le protégé de Frank Lloyd Wright sur son ranch en Arizona, dans un genre de secte)
Merci, Nora, pour ce voyage en ta compagnie. Les deux photos de ton grand-père, mon oncle, sont dans ma collection, mais je n’avais aucune indication sur leur contexte. Au plaisir de te lire à nouveau.