Mes 54 lectures de 2019
Très chers amis,
Une interlude lecture dans ce qui était jusqu’alors surtout du voyage.
L’une de mes résolutions 2019 était de lire un livre par semaine (pour un total de 52 dans l’année, si l’on a bien suivi).
Résolution prise, résolution tenue et dépassée. Selon Goodreads, j’ai lu 54 livres et un total de 15 016 pages en 2019. J’ai beaucoup picoré: des essais, des recueils de nouvelles, un peu de poésie, des romans graphiques, des auteurs québécois, autochtones, un livres de recettes, des manuels pour devenir riche, de l’histoire, trois prix Nobel, en trois langues, surtout du contemporain.
Pour garder le rythme, j’ai utilisé deux stratégies. D’abord, j’ai créé une pile virtuelle de livres de chevet. Au gré de mes lectures, de recommendations d’amis, de visites dans des libraires, je me suis constituée une liste vertigineuse d’ouvrages que j’ai véritablement envie de lire, pour une raison ou une autre. J’ai parcouru toutes sortes de palmarès des 100, des 10, des 23 meilleurs livres qu'il faut avoir lus sans quoi on n'est pas vraiment un vrai lecture, mais rien ne vaut ses propres choix.
Et numéro deux, j’ai pratiquement tout emprunté à ma bibliothèque de quartier, Mordecai-Richler. L’un des avantages est évident : mon passe-temps devient pas mal plus abordable. L’autre est celui du sentiment d’urgence relié à un emprunt. Exemple tiré d’octobre, mon mois le plus rempli de lectures. Sept livres qui arrivent en même temps, trois semaines pour les lire (oui, je suis au courant de l’option renouvellement). Très efficace.
Pour quand même garder un souvenir tangible de cette année riche en lecture et en découvertes, j’ai acheté les cinq livres qui m’ont le plus marquée (voir photo ci-haut). En ordre alphabétique : There, There (Tommy Orange), Avant l’après: voyages à Cuba avec Georges Orwell (Frédérick Lavoie), Beloved (Tony Morrison), Le nombril de la lune (Françoise Major) et Moi ce que j’aime, c’est les monstres (Emil Ferris).
Comme je suis une grande lectrice à la mémoire de poisson rouge, je voulais absolument écrire un semblant de résumé de lectures que voici. L'étoile après le titre signifie que je recommande cette lecture.
Les romans graphiques (11)
J’ai été élevée aux bandes dessinées et je retrouve dans les romans graphiques le plaisir de regarder autant que de lire. En tête de liste, l’indescriptible Moi ce que j’aime, c’est les monstres* (Emil Ferris), avec ses dessins au stylo à bille et à l’arrière-plan de cahier d’école, m’a prise de court. Des loups-garous, l’Institut d’art de Chicago, un grand-frère aux fréquentations louches et une sombre histoire de la Deuxième guerre mondiale? C’est possible et ça fonctionne! Il y a eu aussi You & a Bike & a Road* (Eleanor Davis) qui m’a donné le goût de voyager à vélo (voir ma deuxième résolution pour 2019: me rendre à Québec à vélo - pas réussi) en solo. Quelques jours à vivre (Xavier Betaucourt et Olivier Perret) qui relate le quotidien des derniers jours de patients en fin de vie.
Trashed et My Friend Dahmer* (tous deux de Derf Backderf), qui ne pourraient être plus différents. L’un raconte les péripéties d’un éboueur de petite municipalité, l’autre, la jeunesse d’un tueur en série que l’auteur a intimement connu.
La vie d’artiste* (Catherine Ocelot), avec ses dessins à l’aquarelle singuliers, donne envie de l’été, de la piscine Jarry, et oui, un peu de la vie d’artiste. Troublante et terne Sabrina* (Nick Drnaso), qui aborde le phénomène des fake news (lesquelles apparaissent trop souvent dans les commentaires des téléspectateurs qui nous écrivent au web…). Everywhere Antennas (Julie Delporte) est tout simple. Les dessins d’animaux sont réussis, elle séjourne un moment à Baie Saint-Paul.
Les Mohamed* (Jérôme Ruiller) raconte l’histoire d’immigrants maghrébins en France et est inspiré de recherches sociologiques. De la grande vulgarisation scientifique. Beaucoup aimé Faire campagne* (Pierre-Yves Cezard et Rémy Bourdillon) qui lève le voile sur l’UPA et son monopole versus les petits producteurs. J’ai aussi lu Out on the Wire: Uncovering the Secrets of Radio's New Masters of Story with Ira Glass* (Jessica Abel) pendant mes ateliers de podcast. Inspirant et un peu nerd, j’avoue.
Le côté latino (3)
Je n’ai lu qu’un livre en espagnol en 2019, La Casa Grande (Álvaro Cepeda Samudio). Et je n’ai pas tout compris. L’histoire tourne autour du massacre des bananeraies de 1928, en Colombie, et la narration est tout à fait ambigüe. On ne sait jamais vraiment qui raconte l’histoire (il y a plusieurs narrateurs), ce que j’ai trouvé déroutant. Comble du comble, un autre livre sud-américain que j’ai lu fait usage du même procédé. Heartbreak Tango (Boquitas pintadas) (Manuel Puig) est plus léger mais tout aussi curieux dans son portrait de la vie en province bonaerense, et de toutes les intrigues, entre autres épistolaires, qu’elle implique. J’ai aussi lu Le héros discret* (Mario Varas Llosa), que j’ai beaucoup aimé et qui n’a pas son pareil pour décrire des personnages.
Une année autochtone (5)
Ce fut à moitié délibéré, mais j’ai passé au travers d’un petit cursus d’auteurs autochtones cette année. J’écris «auteurs autochtones», mais c’est bien seulement pour décrire une petite partie de leurs oeuvres, tellement elles sont différentes les unes des autres. L’Indien malcommode : Un portrait inattendu des Autochtones d’Amérique du Nord*, de Thomas King (un auteur canadien dont je n’avais jamais entendu parler) décortique toutes sortes de mythes sur les “Indiens”, comme il appelle l’idée dont les Blancs se font des Autochtones. Précurseur dans un certain sens à cet ouvrage, Je suis une maudite sauvagesse* (Eukuan Non Matshimanitu) (An Antan Kapesh), publié en 1976, témoigne de la grande lucidité et de la clairvoyance de son auteure, la première innue à être traduite en français.
Kukum (Michel Jean) (du nom de sa grand-mère) revient sur le mode de vie innu au milieu du siècle et des chamboulements dramatiques qu’il connait suite à l’installation plus permanente des Blancs au lac Saint-Jean. La scène où une famille tente de retourner à son campement en canot pour l’hiver alors que la rivière est envahie par les billots des draveurs est inoubliable. Plus à l’ouest, une journaliste française a sillonné la Baie-James avec Roméo Saganash, alors député du Nouveau Parti démocratique pour écrire Le centre du monde: une virée en Eeyou Istchee Baie-James avec Romeo Saganash*. Un peu superficiel, mais très instructif sur la vie dans cette région qui m’est inconnue. Et finalement, le bonbon d’Ici n’est plus ici* (There, There) (Tommy Orange), un roman choral qui culmine lors d’un pow-wow à Oakland. Pas misérabiliste une seconde. J’ai eu envie de le relire dès que je l’ai terminé.
Des idées (23)
Il devrait être obligatoire de lire Les luttes fécondes avant de pouvoir écrire quoi que ce soit sur Catherine Dorion (merci à ma Catherine pour la suggestion). La langue rempaillée : Combattre l’insécurité linguistique des Québécois* (Anne-Marie Beaudoin-Bégin) ne m’a pas appris beaucoup, merci aux cours de linguistique du bac à Sherbrooke. A People’s History of the United States* (Howard Zinn) est un classique dans le genre et le livre le plus long que j’ai lu cette année (729 pages). J’aurais aimé/dû en retenir plus. The Architecture of Happiness* (Alain de Botton), un point de départ pour penser l’environnement bâti et fantasmer sur le design d’intérieur d’autre chose qu’un petit 4 et demi fait sur le long.
Nomadland: Surviving America in the Twenty-First Century (Jessica Bruder), lu pour une chronique de Roaditude, démontre à quel point le système américain est détraqué. Ici, le mode de vie mobile est loin du #vanlife et s’approche d’une solution qui devient de plus en plus pénible avec l’âge. Pas très éloigné, Janesville : An American Story (Amy Goldstein) détaille les ravages de la fermeture d’une usine de GM dans une petite communauté. Ton un peu trop convenu, mais effrayant de penser qu’un travail aussi nul sur une chaîne de montage soit préférable au chômage et à la misère.
Comment devenir riche? Ayéda m’a conseillé Millionaire Teacher: The Nine Rules of Wealth You Should Have Learned in School (Andrew Hallam). Je ne suis pas encore riche, mais on parle du long-terme. Ça m’a aussi permis de mieux comprendre ma conseillère financière. Sinon, j’ai aussi survolé Comment acheter mon premier plex (André Dubuc). C’était dans nos plans, à Pedro et à moi, mais ce ne l’est plus vraiment. Mais grâce à cette lecture, je peux maintenant être de bon conseil.
11 brefs essais sur le racisme* (Collectif) est inégal, mais pas inintéressant.
The Spirit Catches You and You Fall Down: A Hmong Child, Her American Doctors, and the Collision of Two Cultures* (Anne Fadiman) témoigne d’une grande sensibilité anthropologique et d’un encore plus grand talent d’écriture. Plus d’ouvrages universitaires qui ne citent pas des auteurs entre parenthèses à toutes les pages! C’est Noémie qui recommandait. La guerre n'a pas un visage de femme* (Svetlana Alexievitch) est constitué d’histoires orales de femmes de l’URSS qui ont fait la Deuxième guerre mondiale. D’après les notes de Svetlana, je crois qu’on s’entendrait bien toutes les deux, elle qui dit habituellement être profondément ennuyée par les récits de guerre (écrits par des hommes).
Frères amis, frères ennemis: correspondances entre l'Inde et le Pakistan (Frédérick Lavoie et Jasmin Lavoie), décousu par moments et trop court à mon goût. Quand même rare de lire un témoignage contemporain de la situation au Pakistan. J’ai lu Detroit, dit-elle. Économies de la survie (Marianne Rubinstein) au retour de mon voyage au Michigan (celui-là même!). Très déçue de cette lecture, qui est nombrilliste et française. À l’opposé, le livre/installation Avant l'après : Voyages à Cuba avec George Orwell* (Frédérick Lavoie) m’a épatée par sa prémisse tout d’abord, puis par le côté performatif de la publication. Sans écrire de divulgâcheur, certains passages du livre testent les limites du régime cubain. Saint-Laurent mon amour* (Monique Durand) est constitué de vignettes contemplatives. J’aimerais avoir autant d’anecdotes sur mon fleuve.
The Argonauts* et The Art of Cruelty*, tous deux de Maggie Nelson, sont denses. La maîtrise en Media Studies m’avait préparée à environ un tiers des références qu’elle y cite. Je dirais que ce sont les meilleurs essays, du genre que l’on rend en fin de session, que j’ai jamais lus. L’un relate la transition de son conjoint et sa grossesse, tandis que l’autre examine la cruauté dans les oeuvres post-modernes, rien de moins. C’est le livre préféré de Maya, qu’elle m’a offert pour ma fête. Grosse (Lynda Dion) est aussi très personnel mais plus thérapeutique pour l’auteure que marquant pour la lectrice. Le pire livre que j’ai terminé cette année (j’en ai abandonné deux autres en chemin), Dans les forêts de la Sibérie (Sylvain Tesson). Son auteur pédant aurait dû rester dans le bois et garder ses pensées vaines pour lui, ça aurait été moins gênant pour tout le monde.
Michael Pollan frappe encore. Après l’alimentation d’un point de vue sociologique, il s’attaque aux drogues psychédéliques. Son “Eat food. Not too much. Mostly plants” devient “Do drugs. Not too much. Mostly plants” dans How to Change Your Mind: What the New Science of Psychedelics Teaches Us About Consciousness, Dying, Addiction, Depression, and Transcendence*, qui explore de manière exhaustive ce monde. À écouter par la suite, son entrevue chez Longform.
Deux biographies cette année : celle de Michelle Obama, Becoming (le livre le plus populaire sur Goodreads que j’ai lu, m’informe-t-on), et celle de Pierre Bruneau, Même heure, même poste.
Et un livre de cuisine que j’inclus parce que la première moitié est moitié manuel, moitié anecdotes. Salt, Fat, Acid, Eat* m’en a appris beaucoup et m’a même convaincue d’acheter d l’huile d’olive à 20$ la bouteille (mais la clé, c’est d’y goûter).
Quelques romans (13)
Je me relis et m’étonne d’avoir lu autant de non-fiction cette année. D'un autre côté, j’ai commencé l’année avec Les maisons* de Fanny Britt, que je crois préférer en non-fiction. Une lecture facile mais agréable. La vie devant soi* (Romain Gary), relu avec un immense plaisir (merci Catherine!) et Gros-Câlin, du même auteur, que je n’ai pas autant aimé, malgré la chaude recommendation de Myriam et Capucine. Le jour d’avant de Sorj Chalandon est un peu trop franchouillard dans son écriture à mon goût, mais l’histoire et le talent suffisent à cette histoire désespérée d'une famille de mineurs du nord de la France.
Sports et divertissements (Jean-Philippe Baril Guérard), une suggestion d’Éric, a la cote dans le milieu montréalais jeune et branché, mais n’a pas été à la hauteur de sa réputation pour ma part. The Idiot* (Elif Batufman), peut-être au contraire, m’a fait réfléchir comme peu de romans y parviennent. Son entrevue chez Longform ne déçoit pas. Merci Maya!
Jo Nesbø et son Homme chauve-souris… j’ai commencé par le début de la série policière en voulant bien faire les choses. J’aurais dû me douter qu’il avait été traduit bien après le reste des aventures de Harry Hole pour une raison : il est mauvaaaais! (Désolée Lydie, je sais que tu m'en avais conseillé un autre!)
Une critique dans le journal de Simili, de Dominique Strévez La Salle, m’a intriguée mais je suis restée sur ma faim. A contrario du Plongeur* (Stéphane Larue), le livre que j’ai peut-être lu le plus rapidement cette année, malgré sa taille.
Je ne peux que recommender Le nombril de la lune* de Françoise Major, que j’ai maintenant la chance de connaître. J’ai encore plus hâte de le relire à mon retour de Mexico, qu’elle évoque dans des nouvelles qui en disent plus long que leur nombre de mots. J’ai aussi lu les histoires courtes Trop de bonheur* d’Alice Munro (merci Ashleigh!), qui partent dans une direction que je ne soupçonne jamais. Alice a un immense talent pour articuler des pensées que l’on a tous mais que personne ne verbalise.
J’ai lu l’Anthologie de La poésie des Herbes rouges* (Collectif) et j’ai réalisé que je devrais lire plus de poésie.
Beloved* (Toni Morisson) est dans une catégorie à part. Moi qui croyais lire l’histoire d’une esclave aux États-Unis me suis retrouvée dans l’histoire aux accents victoriens d’une esclave hantée par le spectre de sa fille dans des États-Unis impitoyables, le tout dans une prose à nulle autre pareille. Le livre avec le plus de passages que je n’ai pas surlignés (copie de bibliothèque oblige!).
Ouf. Je réalise que mes lectures ressemblent font écho à mon année en quelque sens, que ce soit un début de vie plus adulte, le travail dans la salle de nouvelles, des projets de podcast mi-sérieux, mes intérêts un peu éclectiques et mon manque de voyage (quoique... le Michigan!)
Au plaisir de discuter de lectures avec vous (l’un de mes grands plaisirs corollaire à cette résolution) cette année, où j'espère encore lire 52 livres. Je ne suis jamais très loin sur Goodreads, et je recevrai vos réponses si vous répondez à cette courriel.
En vous souhaitant une année remplie de pages,
Nora